Au contraire du Canada avec Jacques Cartier et de la ‘Nouvelle France’, les succès des officiers français, du gouverneur Dupleix et de l’Empire français des Indes restent très mal connus et enseignés dans l’histoire de France.
Le Gouverneur français des Indes Joseph François Dupleix (1697-1763), est un brillant administrateur, chef militaire et excellent gestionnaire qui a épousé une femme Franco-Indienne, d’ascendance portugaise, Jeanne Albert de Castro (1706-1756), connue sous le nom de ‘Begum Joana’ et a rassemblé autour de lui de brillants officiers and reçu le soutien de centaines de Rajahs Indiens, princes et chefs locaux.
Qui était Joseph François Dupleix ? Il était le fils de René François Dupleix, Président de la Compagnie des Indes Orientales, qui avait élevé son fils pour qu’il devienne entrepreneur et marchand comme lui et l’avait envoyé dès l’âge de 18 ans, en 1715, faire son premier voyage en Inde.
Quel rôle jouait la CFIO – Compagnie Française des Indes Orientales ?
C’était probablement la plus riche de toutes les Sociétés de Commerce créées par JB. Colbert (1619-1683), brillant Ministre des Finances de Louis XIV (1665-1683) qui l’avait créée dans les années 1668-70 avec quelques nobles, bourgeois et financiers de la Cour et de France, pour faire rayonner la France sur toutes les mers du Globe. Cette Compagnie était l’une des cartes majeures de la France pour dominer commercialement l’Océan Indien, avec ses positions déjà présentes sur l’ex ‘Ile de France’ (aujourd’hui Ile Maurice) et Ile de Bourbon (auj. Ile de la Réunion), ainsi qu’aux Seychelles (Mahé, sa capitale, tire son nom de ‘Mahé de La Bourdonnais’, concurrent de Dupleix, et hélas trop peu son allié).
J. François Dupleix a construit dès sa nomination de Gouverneur de Pondichéry les premières compagnies militaires de Cipayes, avec des officiers français et des soldats indiens. Leur culture était très différente de celle des officiers anglais, regardant de haut les populations indiennes. Au contraire, les officiers français étaient plus proches de leurs hommes et de leurs familles, mais aussi plus proches des populations, des rajahs et des chefs traditionnels et régionaux indiens. Beaucoup parlaient d’ailleurs le Tamoul ou le Hindi.
Dupleix a aussi bâti selon des plans efficaces des dizaines de villes françaises dans la moitié sud de l’Inde, avec des architectes français, notamment à Pondichéry et à Madras (rebaptisée récemment Chennaï). Madras était si connue auprès de la bourgeoisie française et européenne au 18e siècle, que l’on appelait certains tissus des ‘Madras’.
Dupleix construit aussi de nombreux ports et forts de défense pour défendre les positions françaises, face aux attaques fréquentes des navires anglais. Il construit et investit dans plus de50 villes indiennes, et notamment Chandernagor (à 20km de Calcutta), qu’il a relevée de ses ruines. Ses bâteaux de commerce relient la France via les îles Mascareignes, composées de l‘Ile de France’ (aujourd’hui Île Maurice) et de l‘Ile Bourbon’ (aujourd’hui Ile de la Réunion), avec leurs plantations de sucre et de fruits. Ces deux îles sont aujourd’hui encore les deux plus riches de l’Océan Indien, et donc indirectement d’Afrique, dont elles sont proches, avec Madagascar.
Suivant les visions de long terme de Colbert, fondateur de la CFIO, Compagnie Française des Indes Orientales, a été créée en 1664, pour contrecarrer les compagnies anglaise et néerlandaise, s’enrichissant depuis des années avec les produits importés d’Asie (Inde et Chine surtout), au détriment de la France.
Les colonies françaises d’Inde se sont développées à grande vitesse sous le pilotage de Dupleix, de 1720 à 1754. Les échanges avec la France et autres clients dépassaient ainsi plusieurs millions de livres (1 écu d’argent vaut 6 livres, le coût d’achat d’un veau ou d’un porc en 1725) en textile, thé, fruits, légumes et matériaux de construction de tous ordres.
Un tel succès, alors que les officiers français parlaient couramment le tamoul, le hindi ou le portugais (à Goa), exaspéra fortement les hommes d’affaires britanniques du nord de l’Inde (Calcutta), furieux des succès français. Ces derniers demandèrent à des espions et diplomates britanniques d’enquêter sur les succès de Dupleix et d’influencer la CFIO et le roi de France, Louis XV, à Versailles.
À cette époque, le roi, moins brillant que son arrière-grand-père (le Roi-Soleil), était fortement distrait par les jeunes femmes du parc aux biches à Versailles et par sa maîtresse officielle, Madame de Pompadour. Pire, il ignorait tout du commerce des Indes et de l’Océan Indien et du très compétent gouverneur Dupleix. Il avait délégué nombre de ses compétences clés à des administrateurs ou ministres inexpérimentés, dont Machault, qui venait d’être démis du ministère des Finances, et qui avait été nommé en 1754 au strapontin de la Marine (simple secrétaire d’état), donc en état de disgrâce.
Et pourtant, de 1741 à 1754, le gouverneur Joseph-François Dupleix avait développé une politique d’entente diplomatique avec les princes du sud de l’Inde et d’occupation militaire de quelques points stratégiques, pionnière en Inde. C’est cette politique que copieront quelques années ou décennies plus tard les Britanniques.
Dupleix hérite d’une situation favorable pour la France. En effet, des ingénieurs militaires français, détachés des forces royales, ont construit sur le modèle de la citadelle de Tournai, édifiée par Vauban, la citadelle de Pondichéry, construite dès le début du XVIIIe siècle, avant 1710.
Selon les Indiens, Pondichéry, située sur un terrain concédé par le nabab de Trichinopoly, est le plus fort établissement militaire européen en Inde par la qualité de ses fortifications, la puissance de son artillerie et l’importance de sa garnison. La citadelle de Pondichéry a résisté à plusieurs sièges menés par des armées locales ou à plusieurs reprises par des forces britanniques ou néerlandaises.
DUPLEIX bénéficie aussi d’une bonne situation diplomatique, grâce aux actions de ses deux prédécesseurs, les gouverneurs Pierre-Christophe LE NOIR (1726-1734) et Pierre-Benoît (dit aussi ‘Benoist’) Dumas (1735-1741). Pierre-Christophe LE NOIR a ainsi refait construire à neuf la citadelle sur les plans de Vauban dès 1726 avec deux magasins (stockant riz et blé pour une année) et deux casernes.
En 1740, P-Benoît DUMAS avait accepté d’abriter dans cette citadelle le trésor du nabab de Trichinopoly, qui devait se défendre contre un rival. Une fois ce rival vaincu, ce seigneur indien, très reconnaissant vis-à-vis de la France, a demandé et obtenu de l’empereur mogol une patente de nabab pour le gouverneur de Pondichéry, dignité qui faisait de lui l’égal des grands féodaux de l’Inde, distinction qu’aucun Européen n’avait reçue jusqu’alors.
Le nouveau gouverneur de Pondichéry est parfaitement compétent. En Inde depuis vingt ans, il a été douze ans directeur du comptoir de Chandernagor, alors principal établissement commercial français. Il s’y est révélé « aussi instruit de la politique mogole que s’il eût été un seigneur mahométan, élevé à la cour de Delhi ».
DUPLEIX met aussi à profit deux victoires françaises obtenues en 1746, durant la guerre de Sept ans :
- la première contre les Britanniques à Madras, avec l’aide de la flotte de Mahé de La Bourdonnais
- la seconde contre l’armée du nabab d’Arcate, allié des Anglais, qui a tenté de venir à leur secours.
- De ce fait, les princes les plus puissants du sud de l’Inde, en particulier le nabab du Carnatic et le souhab du Deccan, signent des accords avec les -vainqueurs et en attendent une protection militaire. Donc une protection militaire de la France. En échange de l’installation de quelques soldats français dans des positions stratégiques, Dupleix obtient des marchés de cotonnades, alors le principal produit recherché par les Européens, et un revenu « fixe et assuré », grâce à un prélèvement sur les impôts.
Cette politique n’est pas comprise en France, très éloignée des réalités géostratégiques et régionales des Indes.
Problème N°1 : Ni les directeurs de la CFIO ni les ministres ne sont jamais allés sur place… Ils s’inquiètent de l’augmentation des effectifs militaires, sans réaliser les contreparties énormes et de long terme en construction (investir sur le LT et non pas pour l’année suivante) et ils adressent des mises en garde, à distance, à Dupleix : « Nous ne voulons que quelques établissements en petit nombre pour aider et protéger le commerce. Point de victoire, point de conquêtes, beaucoup de marchandises et quelque augmentation de dividende ». Or les deux vont ensemble ! Et ils vont ainsi donner la vie et la richesse de la Compagnie Française des Indes Orientales à l’Angleterre, pour quelques économies de bouts de chandelles.
Ne recevant pas de réponse satisfaisante, ils décident, avec l’accord du ministre Machault, à peine nommé à la Marine, viré du ministère des Finances, et rudoyé par les Anglais, d’envoyer en Inde un directeur, Charles Godeheu, chargé de faire revenir Dupleix en France, de
- faire rentrer à Pondichéry les officiers français contrôlant des dizaines de forts à l’intérieur du pays, et
- de passer un accord trompeur avec les Britanniques pour un partage des zones d’influence.
- De renvoyer DUPLEIX en France, en le remplaçant par un intérimaire débutant, et très loin de sa carrure…
L’abandon du projet d’Empire français des Indes de DUPLEIX ne suscite aucune réaction en France : c’est, assure Voltaire, « une querelle de commis pour de la mousseline et des toiles peintes ».
De Gaulle aurait dit « Les Français sont des veaux » (Hôtel Connaught, Londres, juin 1940, face à leur résignation à suivre Pétain et la honte qui va suivre). Même Voltaire n’a pas compris. Et a cru faire un bon mot. Alors que c’était la pire de toutes les décisions entre 1534 (arrivée de Jacques Cartier au Québec) et 1962 (Indépendance Algérie).
Résultat : un groupe d’espions et de diplomates britanniques habiles, infiltrés à la cour de France, fit croire aux mauvaises oreilles (CFIO et cour) que le gouverneur DUPLEIX avait détourné de l’argent du roi, ce qui était absolument faux.
Fort de ces informations malveillantes, le roi Louis XV, très mal conseillé par Machault, fit revenir Dupleix de façon ignominieuse en France en octobre 1754 afin de le faire juger. DUPLEIX se défendit courageusement, mais il lui fallut toute sa vie et au-delà pour obtenir réparation, et il fut ruiné au passage, ayant vendu l’essentiel de ses richesses françaises pour les investir en Inde. Il sera réhabilité plus tard.
DUPLEIX fut ensuite remplacé à tort par Charles Godeheu, qui n’écoutait pas les officiers français expérimentés, présents en Inde depuis 5 à 35 ans. Tout cela eut pour conséquence la démotivation de ces officiers brillants, certains allant même jusqu’à fuir un nouveau commandant aussi incompétent et abusif.
Bien entendu, l’armée britannique profita de la situation et attaqua les forts français un à un, contre des officiers français nettement moins motivés, du fait du départ de leur chef bienaimé, et surtout son remplacement par un incompétent hautain et imbu de lui-même. De plus, la défaite de Montcalm à Montréal et le traité de Paris de 1763 furent terriblement mal gérés par le roi de France, qui obtint les pires résultats diplomatiques de l’histoire de France depuis la défaite de Pavie.
Les Britanniques forcèrent ainsi le roi de France à réduire la présence française en Inde à 5 comptoirs commerciaux, dont Pondichéry, Yanaon et Mahé au sud-est (Tamil Nadu), Karikal et Chandernagor (Bengale occidental, à 20km Calcutta), où l’on compte encore en ce 21e siècle environ 1 million de francophones, dont certains vivent en France, avec de brillants médecins, ingénieurs, architectes, scientifiques et enseignants, entre autres.
Ainsi, oui, le gouverneur Dupleix a accompli un travail absolument remarquable durant les 25 années qu’il a passées en Inde, où il avait promis de finir ses jours.
Et oui, Dupleix aurait sans aucun doute développé davantage la moitié sud de l’Inde grâce à son équipe brillante d’officiers et d’administrateurs, s’il avait été épaulé par les dirigeants français de l’époque, qui étaient hélas trop souvent des aristocrates peu efficaces et non des hommes d’affaires compétents et motivés, comme en Angleterre et aux Pays-Bas, enrichis depuis des siècles sur les mers du Globe.
Dupleix possédait toutes les qualités requises :
- une vision globale et à long terme,
- un sens de l’organisation aiguisé,
- une aptitude à développer rapidement les affaires,
- la maîtrise de trois langues indiennes (le tamoul, le hindi et le portugais) : son épouse, la Begum Joana, en parlait au moins quinze
- une grande empathie envers ses équipes, ses officiers et la population indienne, si diverse soit-elle.
On peut tirer trois leçons de cette histoire :
1/ Il est impossible de généraliser à propos des gestionnaires, des administrateurs ou des généraux, quelle que soit leur origine (française, britannique ou autre). Ils sont tous très différents. Certains peuvent être des génies (comme Dupleix). Certains peuvent être ennuyeux et incompétents, comme l’aristocrate qui lui a succédé à Pondichéry.
2/ Pendant 155 ans (depuis 1870, date de la fin du Second Empire français avec Napoléon III, et 1683, année du décès du brillant ministre des Finances Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), connu pour sa vision à long terme), la France a souvent manqué de vision à long terme, car trop d’hommes politiques se sont concentrés sur leur prochaine réélection plutôt que sur leur mission essentielle à l’épanouissement de la France.
3/ Aujourd’hui, on compte environ 350 millions de francophones dans le monde, dont beaucoup sont des entrepreneurs talentueux issus des anciennes colonies françaises. Leurs atouts : une grande capacité d’adaptation, une vision internationale, une forte empathie, une écoute attentive des partenaires et équipes locales, et souvent une maîtrise du polyglotte.
Auteur : François VALLET, ESCP EUROPE, Conseil et coach auprès start-ups et PME, étudiant en PPE à Oxford, conférencier
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